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Seul le Peuple decide de son avenir
9 août 2017

EN MÉMOIRE

BOMBARDEMENTS DE LA RESIDENCE OFFICIELLE DU CHEF DE L’ETAT, LE 11 AVRIL 2011 DIABATE BEH, TEMOIN : « C’EST UN ASSASSINAT MANQUE » Interview réalisée par César Ebrokié Sous les bombes, dans la mélancolie des cris et des pleurs des enfants désemparés, l’horreur, l’angoisse mais aussi le courage de Laurent Gbagbo. Diabaté Bêh, ex-conseiller économique et social, membre de la direction du Front populaire ivoirien (Fpi), témoigne sur les bombardements de la résidence du chef de l’Etat en avril 2011. Un récit qui nous replonge dans l’enfer [du] complot de l’armée française et de l’Onuci. Notre Voie : Quels souvenirs la date du 11 avril vous rappelle-t-elle ? Diabaté Bêh : Avant de vous répondre, permettez-moi, ici, de dire merci au président Gbagbo et à son épouse Simone qui m’ont accueilli chez eux pendant ces moments difficiles, et grâce à qui je suis encore en vie. Je remercie également la direction du Front populaire ivoirien pour toutes les marques d’attention à mon égard. Aujourd’hui, j’ai une pensé pieuse pour toutes les personnes avec qui j’ai vécu ces moments particuliers à la résidence du chef de l’Etat, à Cocody. Je parle des personnalités comme Sangaré Abou Drahamane, Simone Gbagbo, Bro Grébé et bien d’autres qui sont aujourd’hui en détention à La Haye et en Côte d’Ivoire. La lutte continue. Je ne peux pas oublier la résidence. Désormais, ça fait partie de ma vie. J’ai été profondément marqué par tout ce que j’ai vécu. Ça a été terrible. Ça a été dur. Je vous assure que ça a été tellement fort que je n’ai pas la lucidité suffisante pour raconter les faits avec précision. J’ai été frappé par l’humilité et le calme du président Gbagbo dans ces moments difficiles. Bien qu’attaqué, à aucun moment, il n’a eu une posture de va-t-en guerre. N.V.: Pouvez-vous être beaucoup plus explicite ? D.B.: Dix jours sous les bombes. Vous êtes coupé de tout. Vous ne savez rien de ce qui se passe. Vous côtoyez à chaque instant la mort. Vous vivez le désespoir et vous vous sentez impuissant. N.V.: Ça vous fait quoi de voir que, deux ans après, les autres camarades sont toujours en prison ? D.B.: Je me sens toujours en prison tant que les autres camarades y sont. Mais, je dois le dire, tout le temps que nous sommes restés ensemble, je n’ai vu aucun d’entre eux tenir une arme. C’est pour ça que je suis peiné de voir qu’ils sont toujours en prison. N.V.: Deux ans après le renversement de Gbagbo du pouvoir, comment voyez-vous l’avenir du pays ? D.B.: Je suis inquiet. Jusque-là, je ne vois pas de signaux positifs. Je suis d’autant plus inquiet que je suis fils du nord. Ce n’est pas le fait du tribalisme, mais c’est le constat amer que je fais qui m’amène à dire cela. On expose le nord et on met la cohésion sociale à rude épreuve. Il y a trop d’injustices et, malheureusement, je ne vois rien de positif poindre à l’horizon. N.V.: Alors que le pays est déjà plongé dans la crise, dans quelles circonstances vous vous retrouvez à la résidence du chef de l’Etat, le 11 avril 2011 ? D.B.: Je suis militant du Front populaire ivoirien, membre de la direction du parti. Le régime est attaqué. Tout de suite, je me dis qu’il faut être à côté du chef pour le soutenir. Le soutenir moralement, le soutenir physiquement parce que ce qui se passe est quelque chose d’inédit. En tout cas, dans ces moments de braise, je pense que ma place est à côté du chef. J’arrive donc à la résidence le 2 avril. N.V.: Comment ? D.B.: J’habitais Angré. Je quitte la maison le 1er avril pour rallier la résidence du chef de l’Etat. Je suis déguisé pour éviter qu’on me reconnaisse. Souvenez-vous, les attaques des commissariats de police et des brigades de gendarmerie, suivies de la prise de certains quartiers d’Abidjan par les rebelles ont créé un climat d’insécurité dans la capitale. Je prends donc les dispositions qui s’imposent. Je suis revêtu d’un boubou avec un bonnet (rires). A chaque barrage, je lève les bras et me soumets aux instructions. C’est dangereux parce qu’on ne sait plus qui est loyaliste et qui ne l’est pas. D’Angré à Cocody centre, je traverse plusieurs barrages. Dans le périmètre de la Rti, je passe une nuit chez un ami, en raison des combats. Finalement, c’est aux environs de 10h du matin, le lendemain, que j’arrive à la résidence du chef de l’Etat. N.V.: Qui voyez-vous tout de suite ? D.B.: Mon ami Michel Gbagbo, des personnalités parmi lesquelles des collaborateurs du président Gbagbo. Il faut dire aussi qu’une bonne partie du personnel est sur place. Pris dans le feu des tirs, ces travailleurs n’ont pu rejoindre leurs maisons. Puis, naturellement, le président Gbagbo. C’est un homme serein, calme. Mais c’est surtout le chef de famille en compagnie de ses enfants et petits-enfants. Dans toutes les conversations, il demande aux gens de rester sereins. Le président Gbagbo est malheureux devant cette escalade de la violence, car, pour lui, le recomptage des voix aurait permis d’éviter ce bain de sang. Il ne cesse pas de se plaindre. N.V.: A ce moment, quelle est l’atmosphère qui règne ? D.B.: On est inquiets. Parce que le pays s’embrase. On se demande comment tout cela va finir. Donc on cause, on regarde la télé, mais on est très collés à ce qui se passe. Les nouvelles fusent de partout. Tantôt certains reçoivent des coups de fils annonçant la prise de telle ou telle ville, tantôt on annonce la mort de tel ou tel nombre d’individus. Les moments de rires n’excédent pas une ou deux minutes. Nous vivons dans cette angoisse jusqu’au 3 avril. Le matin, je me rends au marché d’Anono avec Michel Gbagbo pour acheter un chargeur. Les conditions dans lesquelles je suis arrivé ne m’ont pas permis de prendre le chargeur de mon portable. 4 avril, même ambiance avec le cirque des mauvaises nouvelles. Et soudain, les événements s’enchaînent. N.V.: Qu’est-ce qui se passe ? D.B.: Aux environs de 17 h, alors qu’il tombe des gouttes, un grand bruit retentit en direction de l’est du district d’Abidjan. A ce moment précis, nous sommes dans la cour de la résidence. Nous nous demandons si c’est le tonnerre. A peine finissons-nous de nous interroger qu’un second bruit retentit. Dans les minutes qui suivent, des amis reçoivent des coups de fil de la ville qui disent que l’armée française est en train de bombarder le camp militaire d’Akouédo. N.V.: Et comment réagissez-vous ? D.B.: Tout le monde est étonné, y compris le président Gbagbo. Le ministre de l’Intérieur, paix à son âme, Désiré Tagro, appelle pour comprendre ce qui se passe. Je suis dépassé, parce que c’est très fort. Trente minutes après, la nouvelle du bombardement de la base navale de Locodjro tombe. C’est le comble. Nous étions loin d’imaginer que la résidence allait subir le même sort. Et, à 19 h, les bombes tonnent sur la résidence du chef de l’Etat. Je suis en compagnie de Michel Gbagbo. Croyez-moi, ce n’est pas une partie de plaisir. Le colonel Babri Gohourou est retrouvé mort dans ce bombardement. La nuit est mouvementée jusqu’au 5 avril matin. N.V.: Le 5 avril, est-ce qu’il y a eu des mouvements militaires ? D.B.: Non ! La résidence n’est pas un camp militaire! Le président rencontre certains de ses collaborateurs pour discuter de la nouvelle donne. N.V.: Est-ce que vous n’avez pas eu le sentiment que des dispositions ont été prises pour préparer la contre-attaque ? D.B.: A aucun moment, je n’ai le sentiment que le président prépare une attaque. Il est plutôt préoccupé par les pertes en vies humaines. Il n’est pas dans une logique de guerre puisqu’il a, à ses côtés, des enfants et des personnes âgées. N.V.: Des dégâts matériels ? D.B.: Oui. Des chars sont détruits, le bâtiment de la Garde républicaine (Gr) aussi. N.V.: Et la résidence ? D.B.: La résidence en elle-même n’est pas touchée. Mais un obus est tombé à côté. Le ministre Tagro communique là-dessus pour dire que la résidence ne peut pas être bombardée, d’autant qu’elle n’abrite pas de chars. N.V.: 5 avril, une nouvelle de cessez-le-feu tombe… D.B. : Le président Gbagbo est lui-même surpris par la nouvelle. Quand on lui pose la question, il dit lui-même qu’il n’y comprend rien. Ce même jour, si ma mémoire est bonne, il accorde une interview à Lc2. La journaliste lui demande s’il compte rester à la résidence jusqu’à la mort. Le président s’en étonne. Il explique qu’il revendique la victoire au même titre que son adversaire. Il demande le recomptage des voix pour que le contentieux soit tranché. N.V.: A présent, le 6 avril. Qu’est-ce qui se passe à la résidence ? D.B.: Situation calme dans la matinée et le soir les bombardements reprennent. Les tirs pleuvent. N.V.: Où vous trouvez-vous à ce moment ? D.B.: Nous sommes au sous-sol, mais c’est terrible. On a le sentiment que c’est un tremblement de terre. Tout le bâtiment tremble. Nous sommes dans la posture de quelqu’un qui est poursuivi, mais qui n’a pas d’issue de secours. Dans cette atmosphère de terreur, chacun cherche les coins où les déflagrations ne peuvent l’atteindre. N.V.: Comment les enfants vivent ces moments ? D.B.: Ils sont dans nos bras. Ils sont apeurés et traumatisés. Il y a donc des pleurs, des cris… Nous demandons aux enfants de se taire et ils s’exécutent parce qu’ils comprennent eux-mêmes que le danger plane au-dessus de nos têtes. Une fois encore, une nuit mouvementée. Au matin du 7 avril, comme d’habitude, il y a un peu de répit. Chacun sort pour prendre un peu d’air. Mais nous sommes angoissés parce que nous ne savons pas quand les hostilités peuvent reprendre. N.V.: Comment mangez-vous ? D.B.: J’ai indiqué plus haut que le président n’est pas dans une logique de guerre. Ici aussi, ça se vérifie. Il y a juste un petit stock de nourriture qui est géré de façon rationnelle. Simone n’hésite pas, elle-même, à descendre dans la cuisine. Nous faisons en sorte que ce stock puisse nous permettre d’aller le plus loin possible. En quelque sorte, une lutte de survie. N.V.: Quand les bombardements atteignent-ils leur paroxysme ? D.B.: Le dimanche 10 avril. De 16 h jusqu’au lendemain à 4h du matin. Avant cette date, c’est-à-dire le 8 avril, des hélicos se positionnent sur la lagune et tirent sur les baies vitrées. Vous remarquez bien là que la résidence est en train d’être détruite. Le bâtiment est en feu. Nous trouvons notre réconfort dans la prière. N.V.: Revenons à la journée du 10 avril. D.B. : Deux hélicoptères paradent au-dessus de la résidence. Tout de suite, nous tiquons. Michel et moi, nous allons vers le ministre Tagro pour en savoir davantage. Il nous apprend que ces engins sont là pour l’évacuation d’un ambassadeur. Non satisfait de son explication, nous faisons remarquer qu’il y a deux hélicos et que cela paraît curieux à nos yeux. Tagro indique qu’il y a un hélico pour faire l’évacuation et l’autre pour assurer la couverture. A peine trente minutes passées que les hélicos font feu sur les éléments de la Gr. Il n’y a aucun moyen de riposte parce que tout a été détruit. Pris de panique, nous fuyons dans tous les sens. On demande de faire rentrer les enfants. Ce qui est fait tout de suite. Un doyen vient vers nous. Il nous demande d’aller porter assistance aux soldats blessés. Ce que nous faisons en les transportant vers l’infirmerie. Dès que les blessés arrivent, l’armée française bombarde l’infirmerie. Ne pouvant pas abandonner les blessés, nous les déplaçons à nouveau pour les conduire au niveau de la bibliothèque. Là, nous devenons tous des infirmiers en aidant les blessés. Il y a des cas graves de saignement. Nous utilisons l’alcool pour désinfecter les plaies. Pour les blessés graves, nous posons des garrots. Nous ne sommes pas au bout de nos peines, puisque la bibliothèque du président est bombardée à son tour. C’est une nuit infernale… Fatigué, je regarde le ministre Tagro et je lui demande ce que les gens veulent. Il me répond : «Ils veulent nous tuer». Dans la matinée – et là, il faut saluer leur bravoure -, des médecins arrivent avec des ambulances pour chercher une partie des blessés et les transférer au Chu (Centre hospitalier universitaire). A peine le premier convoi est-il parti que les bombardements reprennent. Plus intenses encore. Chacun s’abrite là où il peut et comme il peut. Quelques minutes plus tard, une grosse fumée nous parvient dans notre cachette. Les hélicos ont dû larguer des fumigènes. Tout est noir autour de nous. Il est difficile de voir et de se déplacer. Nous suffoquons. C’est pénible parce qu’il y a des enfants de moins d’1 an. Des toux, des pleurs, des cris, des éternuements… Nous faisons des pieds et des mains pour sortir du sous-sol. A ce moment, beaucoup de choses se passent dans la tête des uns et des autres. On ne sait pas si en sortant, des gens sont là pour nous tirer là-dessus. N.V.: Qu’est-ce qui s’est passé par la suite ? D.B.: Nous sortons de nos cachettes. Le président demande qu’on se calme et qu’on s’asseye tranquillement. Nous nous asseyons donc dans les différentes pièces. Les bras croisés. N.V.: Ça se passe quand ? D.B.: Nous sommes le lundi 11 avril. N.V.: Quelle heure est-il ? D.B.: Je n’ai plus la notion du temps. Et je crois que c’est la même chose pour beaucoup d’entre nous. N’ayant ni portable ni montre, c’est difficile. Et le ministre Tagro nous quitte. Et je crois que c’est la dernière fois que nous le voyons. J’apprends qu’on nous demande de sortir avec un drapeau blanc pour dire que nous nous rendons. Comment le faire ? Où sortir ? Nous ouvrons la porte qui donne sur le bureau de la Première Dame. Mais, auparavant, l’aide de camp du président nous demande d’ouvrir et de disposer rapidement. Je lui dis merci. Parce que, dès que nous ouvrons la porte, les gens lancent un obus qui explose. Aussitôt nous fuyons. Nous retournons nous asseoir. Environ trente minutes plus tard, j’entends des cris. J’entends des voix de femmes qui disent : «Ne nous tuez pas». C’est une partie du personnel de la résidence. Je comprends que la messe est dite. Quelques minutes plus tard, j’entends des bruits du côté de la chambre du président. Puis il s’en suit des déclarations en bambara disant : «Ah ! Mon marabout m’avait dit que c’est moi qui allais attraper Gbagbo. Dieu merci, il est dans ma main ici avec sa femme». Des éléments Frci tapent à notre porte. Ils nous intiment l’ordre d’ouvrir. «Ouvrez la porte, sinon on tire». «Ne tirez pas, car nous sommes sans arme», répondons-nous. Et nous leur ouvrons la porte. Aussitôt ils se jettent sur nous pour arracher ce que nous avons. Nous sommes roués de coups. Ils nous sortent les mains sur la tête. Le président et son épouse ont déjà été convoyés vers le Golf. N.V.: Donc vous n’avez pas vu l’arrestation du président Gbagbo ? D.B.: Non ! Je ne l’ai pas vue. Mais puisque ma chambre est à côté, j’ai entendu plutôt une partie des conversations où le président disait : «Allons-y !». N.V.: Vous êtes ensuite conduits au Golf ! D.B.: Avant d’arriver au Golf, nous sortons d’abord de la résidence. Nous traversons la cour et, au niveau de la résidence de France, j’aperçois quelqu’un. Il porte une chemise blanche, mais qui est devenu noire à cause du sang. Je demande si par hasard ce n’est pas le ministre Tagro. On me dit que c’est lui. La résidence est encerclée par les chars français. Derrière les chars français, se trouvent les chars de l’Onuci. Les Frci se faufilent entre les chars pour pénétrer dans la résidence. On voit les militaires français qui les y encouragent en leur disant : «Allez-y ! C’est fini». Arrivé au carrefour de l’université, le chauffeur veut nous conduire, selon lui, à Akouédo. Je suis avec plusieurs enfants dans la voiture. J’interviens auprès d’un militaire français pour lui demander de dire au chauffeur de nous conduire au Golf. Ce qu’il fait. C’est comme ça que nous prenons la route qui mène tout droit au Golf. Un vrai calvaire. Sur la voie, les gens ont des couteaux et nous agressent. Ils m’arrachent mon alliance en me disant : «Tu vas pour mourir. Qu’est-ce que tu vas faire avec ça?». J’ai été gardé plusieurs semaines au Golf. Mais, aujourd’hui, je suis un homme qui a le cœur léger. Je n’ai aucune rancœur parce que j’ai foi en l’avenir de la Côte d’Ivoire. Je demande aux autorités de savoir raison garder, car nos camarades ont trop duré en prison. Il faut qu’ils soient libérés maintenant pour que la Côte d’Ivoire se réconcilie avec elle-même. Ça ne viendra pas d’ailleurs. Il faut que les gens évitent les excès, car De Gaulle disait : «Tout ce qui est exagéré est insignifiant» et «Trop sérieux n’est pas sérieux », comme le dit Amadou Hampaté Bâ. Interview réalisée par César Ebrokié In : Notre Voie n° 4390 du 11/05/2013
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